Sur le sublime

« Est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit. »
« Le sublime est un « plaisir mêlé d’effroi ».
Kant

“Ni scrupule, ni doute ne me tourmentent plus ! Je ne crains rien du diable, ni de l’enfer; mais aussi toute joie m’est enlevée. Je ne crois pas savoir rien de bon en effet, ni de pouvoir rien enseigner aux hommes pour les améliorer et les convertir.”
Goethe – Faust 1806

Il faut rappeler que le beau et le sublime sont des valeurs esthétiques. Pour le beau on a les Lumières dont Kant, et aussi David, Ingres, Mozart, Canova… Pour le sublime il y a Kant à nouveau, Burke, Füssli, Wagner, Goya… Le beau est subjectif (le goût) alors que le sublime est émotionnellement universel. Pour Kant c’est d’une part l’entendement et d’autre part la raison. Les Lumières ont mis des mots pour définir le beau, encourageant la beauté pure inspirée de l’antique et des mythologies. En 1766 Lessing publie Laocoon, une interprétation esthétique de la sculpture grecque du même nom qui est conservée au Vatican. Il y dénonce l’inexpression de l’art antique, l’absence d’émotion face à la souffrance et la mort. L’absence d’émotion tout court.
C’est à ce moment que la conception de ce qui est beau se doit d’évoluer. Depuis des siècles on nous martèle que tout es beau, que tout va bien. La science est là pour nous rassurer. Mais nul n’est rassuré face à tous ces terribles évènements liés à la société. Veut on nous faire oublier la peur? A commencer par la peur de la nature, ensuite la peur de l’autre et enfin la peur de nous même.

“Mes chers frères n’oubliez jamais, quand vous entendez vanter le progrès des Lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas.”
Baudelaire

“Car l’homme, qui ne vaut que parce qu’il croit, ne vaut rien s’il ne croit pas.”
Joseph de Maistre 1836

“Ferme les yeux et tu verras.”
Joseph Joubert 1801

caravage
Le Caravage – Medusa 1595-1598

Les siciliens connaissent bien le sublime. Mis à part le triskèle, la Gorgone est présente sur leur drapeau. La Méduse c’est celle qui, en croisant votre regard, vous transforme et pierre. C’est le choc de la Gorgone que les grecs connaissaient bien. Le sang de son côté droit ramenait l’homme de la mort à la vie alors que le sang pris sur son côté gauche était le pire des poisons. Le Caravage, qui était sicilien d’adoption, peignit sa tête tout juste tranchée par Persée avec le glaive d’Hermès. La Gorgone c’est le monstre, le mal absolu.

 

 

“Le sublime c’est le jugement que je pose par rapport à l’impossibilité d’allier mon imagination et mon entendement dans l’appréhension esthétique d’un volcan, d’une guerre, d’un drame, d’une décapitation. (…) Pour Kant le sublime doit être manié avec précaution : de ce plaisir négatif, de ce déplaisir, de cette horreur nait un sentiment de ma destinée humaine. C’est à dire que devant ce cataclysme là, tout d’un coup, je me sens libéré d’un monde qui m’aveuglait et tout d’un coup je me vois face à la mort. (…) Le beau vous laisse bien digérer. Le sublime vous fait dégueuler et en plus vous êtes content.”
Frank Pierobon 2017

« Le terme de beau peut désigner la valeur esthétique et celui du sublime l’intensité de cette valeur. (…) Mais les termes de beau et sublime peuvent désigner aussi des catégories esthétique, l’une qui recherche une noblesse, une grandeur, pures et stables, l’autre qui œuvre en dynamisme dans une élévation au-delà de l’humain ».
Anne Souriau – Encyclopédie Universalis : Les catégories de l’esthétique

Les Caprices (1793-1798) de Goya
Les Caprices (1793-1798) de Goya

« Le sublime émeut, le beau charme. (…) La nuit est sublime, le jour est beau. (…) Ceux qui possèdent le sentiments du sublime sont portés aux sentiments élevé de l’amitié, de l’éternité, du mépris du monde,…  (…) Le sentiment de sublime, tantôt s’accompagne de tristesse ou d’effroi, tantôt de tranquille admiration, et tantôt s’allie au sentiment d’une auguste beauté. J’appellerai sublime-terrible la première sorte de sublime, sublime-noble la deuxième, sublime-magnifique pour la troisième. (…) Une profonde solitude est sublime, mais elle inspire l’effroi. (…) Le sublime-terrible (sucite) l’effroi. (…) L’intelligence est sublime, l’esprit est beau. (…) L’amitié a surtout le caractère du sublime, l’amour celui du beau. (…) Il n’est pas dans la nature humaine de qualité louable qui par des nuances infinies, ne puisse dégénérer en une imperfection extrême. Le sublime-terrible, chassé le naturel, se mue en fantastique. (Note : le sublime (fantasque) est opposé aux simagrées (extravagant) (…) Entre les qualités normales, la vertu est sublime. (…) L’authentique vertu, celle qui s’appuie sur des principes, porte en soi quelque chose qui paraît s’accorder le mieux au caractère mélancolique, dans le sens faible du mot. (…) La mélancolie a surtout le sentiment du sublime. »
Emmanuel Kant – Observation sur le sentiment du beau et du sublime (1764)

« Tout ce qui est propre à susciter d’une manière quelconque les idées de douleur et de danger, c’est à dire tout ce qui est d’une certaine manière terrible, tout ce qui traite d’objets terribles ou agit de façon analogue à la terreur, est source de sublime, c’est à dire capable de produire la plus forte émotion que l’esprit soit capable de ressentir. Je dis la plus forte des émotions, parce que je suis convaincu que les idées de douleur sont beaucoup plus puissantes que celles qui viennent du plaisir. »
Edmund Burke – Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757)

Giacomo Grosso - Sopresa 1926 - Galerie d'art moderne de Palerme
Giacomo Grosso – Sopresa 1926 – Galerie d’art moderne de Palerme